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Channel: pape François | Lire pour croire…
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François, le pape qui aime le tango

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mcoolLe portrait du pape que dresse Michel Cool fait ressortir son ancrage évangélique qui le situe dans la continuité avec ses prédécesseurs.

Tango à Rome, mon plaidoyer pour le pape François

de Michel Cool

Éditions Salvator, 220 p., 18 €

Michel Cool est plein d’enthousiasme pour le pape François. Il le communique dans son livre, élaboré à partir de conférences qu’il a données sur ce pontificat. Au risque par endroits de redondances, l’ouvrage fait ressortir toute la singularité de Jorge Bergoglio. Non pour le faire passer pour un original mais au contraire pour en distinguer l’ancrage évangélique et la continuité avec ses prédécesseurs.

Une danse née des bas-fonds

L’ouvrage s’ouvre et se ferme par un épisode que seul un pape argentin pouvait inspirer : le tango dansé place Saint-Pierre l’an dernier pour son anniversaire. Michel Cool rappelle comment l’Église garda cette danse sulfureuse longtemps à distance et comment le jeune Bergoglio en fut un adepte. Mais, de même que François d’Assise priait, dit-on, en dansant, l’auteur montre comment le tango « permet justement de s’unir un peu plus à l’âme du pape ». Cette danse née des bas-fonds rejoint son option pour les pauvres. Elle exprime aussi cette « inquiétude métaphysique (qui) transparaît parfois sur le visage du pape François. »

Un pontificat comme une « chanson de gestes »

Visage, regard, étreinte. L’originalité du livre ne vient pas de la seule analogie avec le tango mais plus largement dans la capacité de Michel Cool à donner à toucher le pape François. Il sait entendre dans ce pontificat comme une « chanson de gestes ».

Autres clés d’entrée que donne l’ouvrage, celles de l’univers culturel et intellectuel de Bergoglio. Notamment à travers ses auteurs de prédilection, comme le jésuite Michel de Certeau, et plus encore, sainte Thérèse de Lisieux. Et sa référence incontournable, Paul VI. L’auteur initie aussi au vocabulaire indispensable à ce pontificat, comme périphéries ou miséricorde.

Plus intimement encore, Michel Cool décrit de près l’homme de prière : « La tête légèrement inclinée, le dos un peu voûté, il incarne la prière d’un modeste pécheur. » Mais aussi d’un grand pape, dont ce livre veut entraîner le lecteur dans la danse. Selon l’adage anglais, « it takes two to tango ».

Sébastien Maillard


Cure de « bergogliothérapie »

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vaissiereLe correspondant de l’AFP au Vatican cherche à comprendre pourquoi les mots, les gestes et l’attitude du pape argentin font tout simplement du bien

Le pape François, un combat pour la joie

de Jean-Louis de La Vaissière

Le Passeur Éd., 203 p., 18,50 €

La « thérapie Bergoglio ». Plus qu’une métaphore, c’est l’action apaisante et bienfaisante du pape François sur le commun des fidèles – et moins fidèles – que ce livre analyse. Ni énième biographie, ni enquête dans les coulisses du pontificat, qui font les délices des vaticanistes, Jean-Louis de La Vaissière décortique pourquoi le verbe, le geste et l’attitude de ce pape font tout simplement du bien : « La parole de Jorge Bergoglio rassure un monde désemparé. »

« Ce pape porte en lui la poésie du rêveur » 

Avec un regard bienveillant et une plume agréable, le correspondant de l’AFP au Vatican observe ce pape qui « comprend combien l’homme est faillible, fatigué et imparfait », « touche au cœur des problèmes quotidiens », « ne méconnaît pas les petites chutes de notre vie personnelle et affective ». Un pasteur qui, face à cela, rappelle la « patience de Dieu » et « professe une thérapie de réconciliation intérieure ». Le journaliste, au style parfois aussi personnel, aime comment « ce pape porte en lui la poésie du rêveur » : « François s’adresse au cœur des hommes, à sa dimension poétique et mystique, souvent cachée et oubliée d’eux-mêmes dans un monde agité. »

Évoquant comment le pape trouve les mots pour parler, sans sentimentalisme, des larmes ou du sourire de Dieu, l’auteur met en avant sa « religion de tendresse ». Pas une religion nouvelle mais une dimension à la fois intime et essentielle du christianisme, qui était mise en évidence avec moins d’éclat auparavant alors qu’elle en donne une porte d’entrée des plus accueillantes. Celle qu’ouvre grand ce pontificat qui s’adresse en priorité « aux incroyants, aux agnostiques, aux exclus en quête d’un sens ».

Une pédagogie populaire

Jean-Louis de La Vaissière creuse dans la profondeur bergoglienne et en fait remonter des richesses inexplorées, sous-estimées. Son livre est à conseiller à ceux qui, en surface, n’apprécient qu’un pape au style sympathique ou sinon le jugent démagogue. Le vaticaniste se garde, comme dans son précédent ouvrage De Benoît à François, une révolution tranquille (Le Passeur), d’opposer Bergoglio à son prédécesseur.

Sans nier le charisme singulier du pape argentin. « François est le premier pape à avoir introduit dans le discours pontifical le quotidien, avec son vocabulaire, ses expressions les plus populaires », relève-t-il, appréciant sa « pédagogie populaire pour enseigner l’Évangile ». Sa capacité à faire d’un moment de contact, même bref, « une expérience fondamentale ». À sortir la pensée de l’Église « du sentiment de supériorité qui l’anime » : « Il est aimé parce qu’il peut se mettre à la hauteur des gens, mais aussi leur dire la vérité, fût-elle incommode, sur ce qui ne les satisfait pas dans leur for intérieur. »

L’importance de la joie

Dire aussi au monde la vérité sur ses grands maux. L’auteur relève comment Bergoglio sait aussi, tel Jésus chassant les marchands du Temple, se mettre en colère et user du fouet contre les injustices sociales criantes de nos sociétés : « Il affirme qu’être chrétien nécessite un positionnement clair face aux esclavages du monde. »

Une exigence de cohérence qui n’interdit pas la joie, « clé de voûte de la bergogliothérapie ». Laquelle forme le cœur d’un livre, qui, Synode oblige, traite par ailleurs de la vision du pape François sur la famille et, au début, met en garde contre les « attentes démesurées » que ce pontificat peut susciter. En centrant son propos sur les vertus thérapeutiques, Jean-Louis de La Vaissière ajuste ces attentes à ce qui fait l’originalité bienvenue de Jorge Bergoglio.

Sébastien Maillard (à Rome)

PAPE FRANÇOIS : Un dictionnaire de la langue « bergoglienne »

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Ce livre donne à comprendre le sens  des expressions, comme « périphéries » ou « mondanités », qui reviennent de manière récurrente sous la plume du pape François.

Les Mots du pape

de Nicolas Senèze

Bayard, 330 p., 16,90 €

senezePrésentant la récente exhortation du pape François sur la famille, le cardinal Christoph Schönborn définissait ce texte comme « un événement de langage ». Il soulignait « une fraîcheur du langage, (…) une immédiateté du langage, un langage poétique, imagé ». « Il y a quelque chose qui se passe dans la manière dont le pape François utilise le langage », résumait-il. Nicolas Senèze, journaliste à La Croix, en a fait la matière d’un livre.

« Traduction » du langage papal

Les Mots du pape servent de dictionnaire bergoglien pour qui veut comprendre tout ce que charrient des expressions, comme « périphéries » ou « mondanités », devenues inséparables du pontificat. Des mots si courants dans le discours du pape qu’on risque d’en perdre la profondeur du sens, comme on récite une prière parfois machinalement.

« Il est nécessaire de traduire ce pape latino-américain pour aller au-delà des slogans auxquels certains voudraient trop facilement le réduire », explique au début de son ouvrage Nicolas Senèze, selon qui la pensée du pape François « est certainement moins académique que celle de son prédécesseur Benoît XVI (mais) apparaît tout aussi solidement structurée ». L’auteur, qui connaît bien l’Amérique du Sud, montre par exemple comment les quatre principes généraux qui soutiennent toujours la pensée bergoglienne – « le temps est supérieur à l’espace », « l’unité prévaut sur le conflit », « la réalité est plus importante que l’idée » et « le tout est supérieur à la partie » – ont été forgés pour l’essentiel au début des années 1970.

Théologie du peuple

Au fil des mots, Nicolas Senèze revisite ainsi l’histoire personnelle de Jorge Bergoglio. Celle d’abord d’un jésuite (chapitre ouvrant l’ouvrage) marqué en Argentine par la théologie du peuple. Ces mots clés ouvrent l’accès à d’autres notions essentielles pour saisir non seulement le langage du pape François mais, au-delà, ses gestes et ses actes. L’auteur montre comment, en religieux, le pape est attaché à la « communauté », premier mot du livre, et à la vie en collectivité qui l’accompagne. « C’est d’ailleurs pour cela, une fois élu, qu’il a choisi de rester à la Maison Sainte-Marthe, “l’hôtel” des cardinaux pendant le conclave, plutôt que de s’installer au palais du Vatican », justifie le journaliste, donnant ici la raison la plus solide derrière le choix singulier du nouveau pape.

Le livre à l’expressive couverture warholienne ne prétend pas pour autant décortiquer le pontificat de A à Z – le mot « frères », si courant sous la plume du pape, en est par exemple curieusement absent. Mais, des « migrants » à la « miséricorde », en passant par « l’économie (qui tue) » ou la « famille », il n’oublie aucun thème essentiel, qu’il éclaire avec le rappel de l’histoire, le témoignage de proches et, surtout, de savoureux extraits de la langue bergoglienne.

Sébastien Maillard (à Rome)

FAMILLE : Une édition commentée d’« Amoris laetitia »

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Une édition annotée de l’exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia vient de paraître, grâce au travail conjoint de la Conférence des évêques de France et des facultés jésuites.

La joie de l’amour. Exhortation apostolique post-synodale du pape François,

Édition présentée et annotée sous la direction du Service national Famille et Société de la CEF et de la Faculté de théologie du Centre Sèvres,

Lessius-Fidélité, 374 p., 13 €

amorislaetitiaannoteeFruit d’une collaboration entre la Conférence des évêques de France (CEF) et les facultés jésuites de Paris, une édition présentée et annotée d’Amoris laetitia est parue début septembre aux Éditions Lessius. Elle est préfacée par Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre et président du Conseil famille et société de la CEF, et postfacée par le P. Christoph Theobald, sj.

L’exhortation Amoris laetitia « nécessite un travail d’appropriation de la part du Peuple de Dieu, fidèles, pasteurs et acteurs de la pastorale familiale », fait valoir Mgr Brunin dans sa préface, soulignant « la visée essentiellement pédagogique » de cette édition : « aider les fidèles à rentrer dans le document, en groupe ou seuls, et encourager les initiatives pour sa mise en œuvre. »

Vingt spécialistes appelés à commenter

Le texte intégral est complété d’un guide de lecture par chapitre, toujours rédigé à quatre mains, ainsi que de nombreuses notes et d’un glossaire, expliquant les expressions employées au fil de l’exhortation. Ces outils ont été rédigés par vingt spécialistes des questions familiales (laïcs hommes et femmes, prêtres diocésains, diacre, religieux et religieuses), parmi lesquels huit jésuites.

Les théologiens sollicités enseignent à l’Institut catholique de Paris, à l’Université catholique de Lyon, à la Faculté Notre-Dame (Collège des Bernardins), à l’Université catholique de l’Ouest et dans les facultés jésuites. Le Service famille et société de la CEF a également recueilli des témoignages qui « donnent un visage concret à l’amour dans la famille, avec ses joies et ses difficultés ».

Nouvelle manière de regarder l’Église

Enfin, à la fin de chaque chapitre, des questions ont pour but de soutenir un travail individuel ou en groupe : « En quoi l’attente d’un enfant (qu’on soit père, mère, oncle, grand-mère…) a-t-elle renouvelé votre regard sur la vie ? » « On entend souvent dire que l’Église ne parle pas bien de la sexualité. Comment recevez-vous les paroles du pape sur l’érotisme et sur les relations conjugales ? »

« En définitive, une image nouvelle de l’Église se dégage de ce texte, largement liée à une autre manière de la regarder : une image “bigarrée”, plus nettement marquée par les multiples épisodes de rencontre, parfois étranges, des récits évangéliques », remarque Christoph Theobald.

Anne-Bénédicte Hoffner

CATHOLICISME : Le pape François face à ses ennemis

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Trois ouvrages viennent éclairer les fortes oppositions auxquelles le pape argentin est confronté dans son action.

rivaCe pape qui dérange,
de Virginie Riva,
Éditions de l’Atelier, 174 p., 16 €

bedatFrançois seul contre tous,
d’Arnaud Bédat,
Flammarion, 320 p., 20 €

vaissiereFrançois dans la tempête,
de Jean-Louis de La Vaissière,
Salvator, 220 p., 19,50 €

 

La première semaine du mois de février, des affiches hostiles au pape François ont fleuri dans Rome. Une première dans le pontificat. « Un signe que ce pape dérange », note la journaliste Virginie Riva, en référence au titre du livre qu’elle vient de publier. Avec pédagogie, la correspondante d’Europe 1 à Rome y détaille les multiples chantiers auxquels François s’est attaqué depuis son élection en 2013 : famille et morale, finances vaticanes, économie mondialisée, lutte contre la pédophilie, gouvernement de l’Église.

« Envies de vengeance »

Autant de dossiers que le pape argentin a pris à bras-le-corps, cassant bien des habitudes au Vatican et créant, aussi, autant d’incompréhensions et de rancœurs. Car le pape souriant et affectueux en public peut aussi se montrer « autoritaire, cassant, parfois blessant » et dévoiler des « méthodes expéditives » face à ceux qui lui résistent ; au Vatican, « les placardisés ressassent leurs envies de vengeance », relève Arnaud Bédat. Avec un art consommé du récit, ce journaliste suisse décrit les multiples puissances auxquelles, en presque quatre ans, François s’est attaqué dans l’Église, mais aussi en dehors. Que ce soit les puissances d’argent ou les mafias, certains pourraient même aller jusqu’à menacer physiquement le pape, souligne même Arnaud Bédat qui, en bon Suisse, à ses entrées dans les services de sécurité papaux.

« Le pape n’est pas une figure bonasse qui se contenterait de paroles inoffensives, rappelle de son côté l’ancien vaticaniste de l’AFP Jean-Louis de La Vaissière, dans François dans la tempête. Chaque jour, il rend furieux ceux dont il contrecarre les ambitions mauvaises, car ses appels font se lever le jeune curé dans le bidonville, le député au Parlement, tel cadre supérieur dans sa multinationale. Certains dorment moins tranquilles et préparent leurs défenses contre le trouble-fête : des vendeurs d’armes aux exploitants de minéraux rares ; des sociétés qui rejettent leurs déchets chez les pauvres aux ultralibéraux qui dérégulent à tour de bras ; des sociétés immobilières qui exproprient les pauvres à ceux qui font travailler les femmes et les enfants. »

« 20 % de la Curie pro-Bergoglio »

Certes, François en a vu d’autres. Excellent connaisseur des années portènes de Jorge Mario Bergoglio, Arnaud Bédat montre bien comment ses batailles argentines ont été le terreau des combats actuels du pape. Mais il souligne aussi combien les ennemis d’aujourd’hui commencent à s’organiser. « Les opposants, dans son troupeau de fidèles, sont plutôt minoritaires, mais ils sont très actifs et ne baissent pas la garde », écrit-il, rappelant l’estimation du vaticaniste italien Marco Politi : « 20 % de la Curie est pro-Bergoglio, 10 % totalement contre lui. Les 70 % restants, légitimistes, n’en pensent pas beaucoup de bien et attendent le prochain pape. »

À la lecture de ces trois ouvrages, il apparaît que l’enjeu de la seconde partie du pontificat sera l’image. À cet égard, les récentes affiches contre lui ne sont pas anodines. « Le décalage est souvent important entre l’image du pape François véhiculée par les médias et la réalité des attaques lancées contre lui en Italie, insiste Virginie Riva. Difficile d’imaginer ce qui se murmure à la sortie de la messe, dans les ambassades, les palais et résidences du Vatican. » Or, de la Ville éternelle, cette guerre de communication se déplace désormais au monde entier où certains catholiques s’inquiètent de l’action de François.

En coulisses, des combats d’arrière-garde

Après cinq années à Rome, Jean-Louis de La Vaissière est maintenant responsable de l’AFP à Rennes. Ce changement de perspective lui a fait voir la « colère » et l’« inquiétude rentrée » du « petit troupeau des croyants occidentaux ». « Les curés doivent passer une partie de leur temps à expliquer et à tenter de répondre à leurs angoisses, à leurs peurs d’être abandonnés dans leur lutte contre le “laxisme” et la “décadence”, et d’être moins soutenus que par Jean-Paul II et Benoît XVI, constate-t-il. Il arrive, dans les cercles catholiques, que le nom du pape François soit omis, avec une sorte de mépris. Il est parfois critiqué ouvertement comme celui qui sème la confusion. Certains se taisent, d’autres font mine d’obéir. »

Voyant combien « le contexte est tendu, notamment en France » où, sur les réseaux sociaux, « le pape est pris à partie par les uns et les autres », l’ancien vaticaniste ne peut que constater « un immense quiproquo et beaucoup d’envie et de frustrations ». « François, en véritable prophète, met toutes ses forces à communiquer avec un talent inouï un message de dignité et d’inclusion, explique-t-il. Au même moment, des combats d’arrière-garde se livrent en coulisse autour des textes, des mots et contre son action. »

« L’esprit pape François peut-il perdurer au-delà de son pontificat ? (…) Comment porter le changement après lui ? », s’interroge in fine Virginie Riva. Alors que François vient de fêter ses 80 ans et qu’il n’a pas, pour l’instant, obtenu la « légitimation » du changement qu’il a impulsé par ses gestes et symboles forts, le temps est bien, aujourd’hui, le facteur décisif.

Nicolas Senèze

FAMILLE : Guide de lecture d’un synode

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Dans un livre co-écrit avec le jésuite argentin Juan Carlos Scannone, Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique de Paris, examine avec précision l’exhortation Amoris Laetitia, publié par le pape François après le Synode sur la famille.

bordeyneDivorcés remariés, Ce qui change avec François,
de Philippe Bordeyne, avec Juan Carlos Scannone,
Salvator, 144 p., 17 €

Le sujet n’en finit pas de faire couler de l’encre. Quels effets le Synode sur la famille, organisé en 2014 et 2015 à Rome par le pape François, et prolongé par l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, a-t-il eu dans l’Église ? C’est à cette question que tentent de répondre Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’institut catholique de Paris et moraliste, ainsi que le Père Juan Carlos Scanonne, un jésuite argentin proche du pape François dans un livre publié par les éditions Salvator.

Exigence et mansuétude

À travers l’épineuse et médiatique question de l’accès des divorcés remariés aux sacrements, tous deux se penchent surtout sur la capacité de l’Église à faire face au changement. De fait, les deux théologiens vont bien au-delà de cette problématique, puisqu’ils livrent ici un véritable guide de lecture de l’exhortation apostolique de François, en examinant notamment la pédagogie du pape, « faite d’exigence et de mansuétude », explique Mgr Bordeyne. Ce dernier insiste aussi sur l’importance, pour le pape, de faire preuve de « lucidité » et de « réalisme » sans perdre de vue l’idéal promu par l’Église catholique. Il souligne aussi que la miséricorde constitue une solide grille de lecture d’Amoris Laetitia.

C’est d’ailleurs par le biais du thème de la miséricorde, central chez François, que les auteurs abordent plus spécifiquement la situation des divorcés-remariés. Et c’est précisément parce que « personne ne peut être condamné pour toujours », comme l’écrit le pape dans son exhortation, qu’il est nécessaire d’évoluer en la matière.

Pour un « art de l’accompagnement »

Dans ces pages, Philippe Bordeyne démontre bien la complexité des couples remariés civilement et le refus du pape de fournir une solution « automatique » à cette question, par exemple en autorisant tous les divorcés remariés, sans distinction, à accéder à la table eucharistique. Comme dans les autres champs de la morale, le pape jésuite plaide en effet pour un discernement en fonction des situations, prenant à la fois en compte la « gravité objective » des personnes divorcées et remariées, ayant rompu l’alliance de leur mariage religieux, et la « culpabilité subjective ». Autrement dit, le pape « laisse place à la prise en compte du particulier dans l’évaluation de la culpabilité des personnes », analyse Philippe Bordeyne. D’où la nécessité, pour l’Église, de mettre en œuvre cet « art de l’accompagnement », défini par le pape dans l’exhortation La joie de l’Évangile, publiée en 2013, comme la capacité à « toujours ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre ». Par la plume de Juan Carlos Scanonne, le livre rappelle aussi opportunément combien le discernement tel que le prône François est ancré dans la tradition ignatienne, et combien la conscience subjective possède, aux yeux du pape, une valeur objective.

Loup Besmond de Senneville

THÉOLOGIE : Les références théologiques du pape François

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Ce livre permet de mieux comprendre ce que le pape argentin veut signifier quand il parle d’« une Église pauvre pour les pauvres ».

scannoneLa théologie du peuple. Racines théologiques du pape François,
de Juan Carlos Scannone,

Namur / Paris : Lessius / Editions jésuites, Coll. « Donner raison – théologie » n°59, 2017, 272 p., 25 €

Depuis que les papes ne sont plus italiens, soit déjà presque 40 ans, il faut bien connaître le contexte de leur pays d’origine pour tenter d’appréhender au mieux là où leur pensée théologique a pris racine. Cela était encore facile avec les deux papes précédents qui étaient européens.

École théologique  argentine

Avec François, il faut oser s’aventurer sur un autre continent, finalement peu connu, et peu nombreux sont les livres parus en avalanche depuis son élection qui ont fait l’effort d’aller analyser en profondeur le soubassement que la théologie argentine a pu donner à la pensée du pape actuel. Cet ouvrage tombe donc à point ; qui plus est, il est écrit par un jésuite argentin, né en 1931, qui à la fois fut un des professeurs du jeune Bergoglio et, très connu dans le monde hispanique et anglophone, apparaît comme un des meilleurs représentants de ce que l’on peut appeler « l’école théologique argentine». Il est donc parfaitement qualifié pour nous parler de cette dernière et il le fait dans les deux premières parties de cet ouvrage avec un brio certain. Pour autant, son texte n’est pas si facile que cela, et pas seulement parce que, en plus d’un passage, il suppose de son lecteur une connaissance certaine de l’histoire de l’Amérique latine, particulièrement de l’Argentine.

Sagesse populaire

Pour ceux qui pourraient s’inquiéter, Scannone prend souvent soin de distinguer cette théologie propre à son pays, ou « théologie du peuple », de la théologie de la libération, dont elle constitue néanmoins une branche, mais elle s’oppose à cette dernière en mettant résolument à distance toute interprétation matérialiste voire marxiste de l’histoire. Cette théologie du peuple, donc, s’enracine dans la culture d’un peuple, pauvre certes, mais croyant ; la sagesse populaire trouve sa place « en elle et dans son incarnation sous forme de culture ».

Scannone présente la figure principale de cette théologie, encore très peu connue en Europe, le prêtre Lucio Gera (1924-2012), qualifié ici de « théologien du peuple et à partir du peuple », qui fut très actif aux conférences générales de l’épiscopat sud-américain à Medellin (1968) et à Puebla (1979). Gera décrit le peuple à partir d’une culture enracinée comprenant aussi un projet politique partagé en vue du bien commun. De plus, au-delà d’une approche qui serait simplement sociologique, pareille théologie veut creuser la réflexion, centrale à Vatican II, sur une Église envisagée comme peuple de Dieu et en dialogue avec tous les peuples de la terre.

Le peuple, sujet collectif

« L’apprentissage de ce contact avec le peuple, nous dit Scannone, en lien avec la réflexion théologique, surtout ecclésiologique, et avec les orientations doctrinales de l’Église, contribua au fait que la pastorale argentine, sans perdre son esprit évangéliquement critique et prophétique, se fit réellement pastorale et populaire en se libérant des risques du rationalisme élitiste (tant libéral que marxiste) et du danger –réel- de se laisser emporter par une dialectique de lutte de classes transférée au sein de l’Église ». Et, un peu plus loin : « En Argentine, l’expérience vécue de l’être-peuple et la catégorisation qui l’a accompagnée aidèrent l’ecclésiologie argentine post-conciliaire à ne pas opposer ‘communion et institution’, mais à les comprendre dans leur unité ou dans la ‘synthèse vitale’ que, selon Puebla, la sagesse chrétienne populaire sait opérer entre les deux ». Mais, pour lui, cette théologie n’a pas à être limitée au seul cadre argentin : « Il serait possible d’élaborer une philosophie (ou une théologie) de l’histoire argentine en prenant comme matrice herméneutique la catégorie du ‘peuple’ comme sujet collectif. Il me semble d’ailleurs qu’il serait aussi possible de faire la même chose avec l’histoire de beaucoup d’autres peuples. »

Option pour les pauvres

La troisième et dernière partie de l’ouvrage correspond au sous-titre de ce dernier et, selon Scannone lui-même, elle « complète et couronne les deux premières (parties), elle ferme le cycle vivant et fécond qui met en relation réciproque la théologie du peuple et la culture (…) avec la théologie et la pastorale du pape François ». C’est là que nous comprenons alors beaucoup mieux ce que ce dernier veut dire quand il parle si souvent d’« une Église pauvre pour les pauvres » ; notre auteur explique cela très bien : oui, « des pauvres, il y en a toujours eu, et l’option évangélique pour les pauvres a toujours existé dans la communauté chrétienne, mais la nouveauté, comparable à une ‘irruption’, consiste dans la forte prise de conscience de l’injustice structurelle qui est la cause de la pauvreté ainsi que dans le ‘fait majeur’ que les pauvres deviennent actuellement des protagonistes dans la société et dans l’église ». Nouveauté aussi car cette option fait désormais partie de l’essence même de l’évangélisation.

Piété populaire et inculturation

C’est aussi à partir de cette ‘théologie du peuple’ qu’il faut comprendre l’insistance du pape à la fois sur la piété populaire et sur l’inculturation. Cette dernière, dit notre auteur, « est l’un des concepts-guides qui inspirent non seulement Evangelii Gaudium (très souvent citée dans cette partie) mais toute la pensée théologico-pastorale du pape : il conçoit ‘l’évangélisation comme inculturation’, sans pourtant que la première s’épuise dans la seconde ». Dans la même exhortation, François considère « les expressions de la piété populaire » comme un véritable « lieu théologique » : « cette affirmation, commente Scannone, est la culmination et le couronnement de tout ce qui a été dit antérieurement sur ce sujet par l’épiscopat latino-américain et par le magistère des derniers papes ». Enfin, c’est encore et toujours à partir du terreau de cette théologie argentine que l’on peut mieux comprendre les quatre fameuses priorités bergogliennes dans le gouvernement du peuple en vue du bien commun : supériorité du tout sur les parties – de la réalité sur l’idée – de l’unité sur le conflit – du temps sur l’espace.

Bref, voici un livre capital pour mieux entrer dans la pensée, peut-être faussement simple, du pape argentin qui est, comme le dit notre auteur dans sa toute dernière phrase, non « seulement ‘le pape du peuple’ (du peuple fidèle de Dieu et des peuples de l’histoire), mais aussi ‘le pape du discernement’ des signes du temps » !

David ROURE

BIOGRAPHIE : Déjà François pointait sous Bergoglio

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Cet ouvrage passionnant analyse comment les années argentines de Jorge Mario Bergoglio préparaient le pontificat de François.

austen-ivereighFrançois le réformateur,
d’Austen Ivereigh,
Éditions de l’Emmanuel, 536 p., 20 €

Les Éditions de l’Emmanuel viennent de combler une importante lacune avec cette traduction en français de The Great Reformer : Francis and the Making of a Radical Pope, parue en 2014 en anglais. Même trois ans après sa publication, l’ouvrage, révisé l’année suivante, reste en effet l’une des meilleures biographies du pape François, notamment sur ses années argentines.

Excellent vulgarisateur

Son auteur, le journaliste britannique Austen Ivereigh, est un fin connaisseur de l’institution ecclésiale (il a travaillé à la communication du cardinal Cormac Murphy O’Connor, ancien archevêque de Westminster qui a beaucoup contribué à l’élection de François) doublé d’un spécialiste de l’Argentine (il a défendu, en 1993 à Oxford, une thèse en sciences politiques sur l’Église et la politique en Argentine). Nul, mieux que lui, ne pouvait donc décrypter les années argentines qui ont préparé le père, puis l’évêque et cardinal Bergoglio à devenir le pape François.

Excellent vulgarisateur, Austen Ivereigh sait qu’il s’adresse à un public anglo-saxon peu au fait des subtilités, politiques comme ecclésiales, de l’Amérique latine : il prend donc le temps de bien expliquer les choses et de les replacer dans leur contexte. Les digressions semblent parfois longues mais sont, en fin de compte, toujours éclairantes. Ainsi, les tumultueux débuts politiques de l’Argentine entre libéraux et nationalistes aident-ils à comprendre la vision politique du futur pape, son attirance pour le péronisme et son tropisme pour le « peuple ». Un parmi d’autres des thèmes les plus prégnants du pontificat qui émergent de sa formation philosophique et théologique.

Au-delà du tropisme latino-américain 

Les pages passionnantes sur son provincialat jésuite permettent de mieux comprendre celui qui est alors coincé entre une tendance très marxisante de la Compagnie et une autre très conservatrice. Pour des raisons diamétralement opposées, les uns et les autres rejetteront la volonté de leur provincial de voir les jésuites plus proches des réalités de la société argentine. L’ouvrage oblige toutefois à se garder de trop ramener François à un tropisme latino-américain : il souligne, au contraire, combien les débats auxquels participe cet Argentin devenu universel interpellent déjà toute l’Église.

Ce qui transparaît, ce sont d’ailleurs les efforts de Jorge Mario Bergoglio de toujours rassembler au-delà d’un camp. Dès le départ, il veut dépasser – non sans maladresse à cause de sa jeunesse – un clivage progressiste-conservateur qui ne cessera pourtant de le poursuivre, quand il sera évêque puis cardinal. Y compris quand, en 2005, il refusera de se laisser instrumentaliser par ceux des cardinaux qui veulent en faire leur « champion » face au futur Benoît XVI.

« Là où Dieu nous sauve »

« Les restaurationnistes et les idéalistes, les conservateurs et les révolutionnaires, passeront toujours leur temps à se battre pour obtenir le pouvoir, avoir le contrôle et diriger l’institution », écrit-il dès 1980, mettant en garde contre le risque de « devenir des ateliers de restauration ou des laboratoires aseptisés » oublieux du « mouvement véritable qui est en train de se déployer au sein du peuple fidèle de Dieu ». « Ainsi, ils se révèlent incapables de se joindre à la marche de l’histoire, là où Dieu nous sauve, là où Dieu fait de nous un corps, une institution », concluait celui qui défend une « vraie réforme de l’Église », selon l’expression du dominicain Yves Congar qui semble l’avoir beaucoup marqué.

Presque quarante ans plus tard, le discours n’a pas vraiment changé, quand le pape apparaît comme un dangereux progressiste pour les uns et un conservateur déguisé pour les autres. On comprend aussi qu’il « en a vu d’autres », qu’il ne se laissera impressionner ni par les critiques ni par l’adversité. Ni surtout par le « progressisme adolescent » qu’il a vu poindre en Amérique latine et dont il a pris conscience que l’Église ne pourrait y répondre que par une profonde réforme.

Nicolas Senèze
> Lire aussi : Les références théologiques du pape François

ESSAI : François, le pape qui sait communiquer

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Le préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège  montre que la communication du pape François fait partie intégrante de la dynamique de renouvellement de l’Église catholique qu’il cherche à mettre en œuvre.

dario-viganoFrères et sœurs bonsoir ! La communication du pape François : une révolution,
de Dario Edoardo Viganò,
traduit de l’italien
par Daniela Caldiroli,
Bayard, 200 p., 16,90 €

Depuis le premier jour de son pontificat, le pape François a bouleversé les codes habituels de la communication papale : discours improvisés, réponses spontanées à des questions de journalistes, homélies à Sainte-Marthe… Préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège, le père Viganò mobilise les sciences et la théologie de la communication – discipline qu’il enseigne à l’Université du Latran – pour analyser le style et le langage d’un « homme sans cérémonial » qui cherche à travers ses gestes, ses paroles, ses initiatives, ses voyages, ses écrits à entrer en relation avec ses interlocuteurs, à communiquer le bien, à faire resplendir la vérité du message chrétien.

Une ouverture vers le prochain

Le pape François connaît bien les ressorts de la culture médiatique moderne. Il sait en user. « Sa communication, écrit Mgr Viganò, cherche à enraciner l’annonce évangélique dans les codes, les contextes et les narrations d’aujourd’hui. Mais elle prend aussi une autre direction : rendre transparent pour le monde, pour la société , pour ‘l’homme de la rue’, les codes, les contextes et les narrations de l’Église. C’est l’autre visage  de cette volonté d’ouverture et de mouvement vers le prochain… » Une volonté qui permet de comprendre pourquoi le pape met sérieusement en garde contre toute forme de commérage ou de cancan desquels nous sommes toujours un peu complices.

« Le profil anthropologique du cancanier, c’est le désir de puissance au sein d’une communauté, du législateur et du juge. Le cancanier se pose en gardien des valeurs et de l’intégrité  de sa propre communauté, et le succès d’une telle entreprise est la source suprême de son plaisir. Le commérage n’épargne personne ; il est inhérent à l’exercice du pouvoir », analyse encore l’auteur.  On comprend dès lors en quoi le style de communication du pape François  est un élément intégrant de la réforme de l’Église.  Un livre éclairant nourri de nombreux extraits des interventions du pape François pour illustrer le propos.

Dominique Greiner

BIOGRAPHIE : Le pape François, un « homme pour les autres »

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Parmi tous les ouvrages consacrés au pape François, celui-ci sort du lot en faisant mieux comprendre son background intellectuel, culturel, spirituel et ecclésial.

austen-ivereighFrançois le Réformateur. De Buenos Aires à Rome,
de Austen IVEREIGH,
Éditions Emmanuel, 2017, 540 p., 20 €

Parmi la somme impressionnante d’ouvrages parus sur le pape actuel depuis son élection en 2013, celui-ci nous semble se dégager nettement du lot. En effet, il est écrit par un journaliste anglais cinquantenaire qui connaît très bien l’Amérique latine puisqu’il a, dès 1993, soutenu une thèse en histoire sur l’Église catholique et la politique en Argentine, en particulier dans les années 1930-1960 ! Qui plus est, c’est là une œuvre de première main car notre journaliste ne s’est pas contenté de reprendre paresseusement depuis l’Europe (ce qu’ont fait un certain nombre de ses confrères…) des interviews parues outre-Atlantique mais il est allé lui-même en Argentine interroger un grand nombre de personnes qui ont bien connu Jorge Bergoglio, surtout parmi ses confrères jésuites ou des prêtres de l’archidiocèse de Buenos Aires.

Un « évêque ‘qui sent la brebis’ »

Cela donne donc un livre dense, très bien documenté, mais qui se lit toujours facilement, et même avec plaisir ; prenant les choses bien en amont, il détaille l’histoire de l’Argentine et de son peuplement, de l’Église locale, des jésuites depuis leur implantation dans ce pays. Il explique bien la théologie développée, dite du peuple, qui à la fois ressemble à la théologie de la libération et s’en sépare, entre autres par son refus clair de l’idéologie marxiste ou marxisante. Les enjeux d’une politique récente compliquée, avec le péronisme, la dictature des généraux et le populisme anticlérical des Kirchner, mari et femme, sont clairement exposés.

Plus dans le détail, Ivereigh sait aussi bien montrer tous les aspects, assez complexes, de la Compagnie de Jésus en Argentine à partir du moment où le jeune Jorge y entre, en 1958 à l’âge de 21 ans, et où il deviendra vite maître des novices (en 1972, avant même sa profession solennelle !) puis, l’année suivante, provincial, alors âgé d’à peine 36 ans ! Ayant largement contribué à faire évoluer les jésuites argentins durant cette période-là, il fut apprécié par certains mais contesté, parfois fortement, par d’autres, ce qui lui valut une sorte de mise à l’écart dans les années 1980. Mais il avait été repéré à Rome et il fut nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992, coadjuteur en 1997 du cardinal Quarracino à qui il succéda l’année suivante. Et notre journaliste de nous détailler alors dans la seconde moitié de son épais ouvrage de manière très intéressante les nombreuses initiatives pastorales, souvent inédites jusqu’alors, de cet « évêque ‘qui sent la brebis’ », de cet « homme pour les autres », de ce « cardinal gaucho » pour employer trois expressions qui sont autant de titres de chapitres !

Péronisme et dictature militaire

Dans la première partie, Austen Ivereigh n’hésite pas à aborder deux sujets qui ont fait polémique depuis l’élection de François, à savoir ses liens avec le peronisme puis avec la dictature militaire qui a suivi. Il mène chaque fois une analyse rigoureuse et nuancée. Sur le premier point, il est très clair : « Jorge Bergoglio n’a jamais milité dans un parti politique, et, après 1958, année où il rejoint les Jésuites, n’a jamais voté. Mais il a toujours eu une affinité naturelle avec la tradition culturelle et politique que le péronisme représentait », ceci étant après que notre enquêteur ait précisé que « le péronisme était au service de Peron, pas d’une idéologie ». Le second point est plus délicat car, on s’en souvient, à peine élu François a été victime d’une accusation, largement relayée ensuite par des journalistes peu scrupuleux, où un ancien confrère, qui avait été enlevé et torturé par les militaires, dénonçait Bergoglio de collusion avec ces derniers. Au terme d’une investigation particulièrement fouillée, Ivereigh met en pièce cette calomnie, tout en expliquant : « L’idéologie nationaliste sécuritaire de la dictature lui répugnait tout autant que l’idéologie nationaliste marxiste prônée par les Montoneros (nota : dont était proche ce compagnon jésuite) en dépit des habits catholiques dont les deux mouvements se drapaient alors. Malgré cela, Jorge Bergoglio aurait été capable d’entrer en relation avec n’importe qui, en particulier si cela pouvait sauver des vies » !

Ce trait de caractère, joint à de nombreux autres que dépeint aussi notre auteur, permet, de même que ses initiatives pastorales comme archevêque, de mieux comprendre la manière dont ce pape non européen, qui peut parfois nous déconcerter, appréhende et gouverne aujourd’hui l’Église universelle. Déjà, le document d’Aparecida de 2007 concluant la 5ème assemblée du Celam, auquel Bergoglio avait largement contribué, prônait « une Église pauvre pour les pauvres, ancrée dans Vatican II, tournée vers la mission, axée sur les périphéries, centrée sur le saint peuple fidèle de Dieu, dans un dialogue de confiance avec la culture, et néanmoins audacieuse dans la dénonciation de ce qui lèse les pauvres » ! Ivereigh a pour son sujet une empathie manifeste ; pour autant, il ne le décrit pas, ainsi qu’il le dit lui-même, « comme un ange »…

Redoutable sens politique

Le livre s’arrête, ou presque, au conclave de 2013 ; néanmoins, chacun des neuf chapitres (sauf le dernier, consacré justement au conclave !) commence par une évocation d’un événement vécu par le pape depuis son élection, lequel événement va être éclairé, expliqué, pense l’auteur à juste titre, par ce qui va suivre dans le chapitre concernant telle ou telle section de la vie du futur évêque de Rome ! Pour autant, Ivereigh émet déjà quelques jugements d’importance sur les premières années du pontificat : pour lui, par exemple, l’encyclique Laudato si’ « est peut-être ce que François laissera de plus important » et, continue-t-il sur sa lancée, « Laudato si’ fait figure de monument dans l’enseignement social catholique. Il s’agit probablement du texte le plus important depuis Rerum novarum de Léon XIII en 1891. »

En bon connaisseur, notre historien sait aussi nous présenter des aspects moins connus et rabattus de la vie et de la personnalité du pape actuel : tout d’abord, malgré certaines apparences, son redoutable sens politique ; il peut ainsi conclure un chapitre : « Voilà un paradoxe typique de Bergoglio : l’austère et incorruptible mystique parti en guerre contre la mondanité spirituelle, l’évêque pasteur qui ‘sent la brebis’ est aussi l’homme politique le plus fin que l’Argentine ait connu depuis Peron », rien de moins ! Ensuite, sa volonté de ne jamais mépriser et même de promouvoir toujours une authentique piété populaire, Iveneigh allant jusqu’à affirmer, utilisant un mot à manier pourtant avec précaution : « François est en train de construire un nouveau populisme catholique qui prend ardemment la défense des exclus » ! Enfin, sa proximité venue sur le temps mais de plus en plus affichée en Argentine avec des chrétiens charismatiques, y compris évangéliques : « Lorsque La Nacion publie une photo du cardinal Bergoglio agenouillé, les yeux fermés, la tête inclinée, au milieu de plusieurs pasteurs qui lui imposent les mains, l’onde de choc est telle que certains catholiques traditionalistes le déclarent apostat. L’archevêque a posé ce geste audacieux à l’occasion d’une prière charismatique réunissant des milliers de personnes dans un stade de Buenos Aires, en juin 2006. La soixantaine bien avancée, son ouverture croissante à la spiritualité charismatique – la louange emplie du Saint-Esprit, la prière en langues et l’attente de miracles et de prodiges, comme dans l’Église primitive – marque une évolution significative de sa vie intérieure ». Pour autant, toujours fils de Saint Ignace, « le discernement spirituel est l’une des grandes dimensions du pape François », comme le confie en début du livre un jésuite qui l’a bien connu !

Comme l’exprime Eduardo Pironio, un autre cardinal argentin dont il fut proche, Bergoglio « s’aliène à la fois les conservateurs en raison de son engagement en faveur de la justice sociale, et la gauche, à cause de son refus de soutenir les versions marxistes de la théologie de la libération » ; c’est qu’ « il n’est pas un révolutionnaire. Ce qu’il est, au plus profond : un radical de l’Évangile porteur d’une stratégie pastorale qui accorde la priorité aux pauvres » ! Si vous voulez mieux connaître son background intellectuel, culturel, spirituel et ecclésial, dans l’avalanche d’ouvrages parus sur lui depuis 2013, lisez en priorité celui-ci, vous ne le regretterez pas !

David Roure
Sur le même livre, lire aussi : Déjà François pointait sous Bergoglio

HUMOUR : Quand un caricaturiste admire le pape

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SacrŽ Franois_couv1-4_IMP.inddSacré François,
de Gerhard Mester,
Éditions des Béatitudes, 32 p., 7,90 €

Gerhard Mester est un dessinateur de presse allemand, lauréat en 2012 du prix du meilleur caricaturiste des journaux allemands. Dans ce petit recueil consacré au pape, il croque le « style François » en une ­vingtaine de dessins, avec humour et sensibilité. Réformes, « banque du Vatican », migrants, pauvreté… Tous les grands sujets du pontificat du pape argentin y sont abordés. Et si ce dernier a le beau rôle, le reste de l’Église n’est pas épargné ! L’auteur, à travers ce contraste, manifeste un soutien sans réserve au pape, dont il semble admirer par-dessus tout l’humilité et la volonté d’ouverture.

Gauthier Vaillant

Cure de « bergogliothérapie »

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vaissiereLe correspondant de l’AFP au Vatican cherche à comprendre pourquoi les mots, les gestes et l’attitude du pape argentin font tout simplement du bien

Le pape François, un combat pour la joie

de Jean-Louis de La Vaissière

Le Passeur Éd., 203 p., 18,50 €

La « thérapie Bergoglio ». Plus qu’une métaphore, c’est l’action apaisante et bienfaisante du pape François sur le commun des fidèles – et moins fidèles – que ce livre analyse. Ni énième biographie, ni enquête dans les coulisses du pontificat, qui font les délices des vaticanistes, Jean-Louis de La Vaissière décortique pourquoi le verbe, le geste et l’attitude de ce pape font tout simplement du bien : « La parole de Jorge Bergoglio rassure un monde désemparé. »

« Ce pape porte en lui la poésie du rêveur » 

Avec un regard bienveillant et une plume agréable, le correspondant de l’AFP au Vatican observe ce pape qui « comprend combien l’homme est faillible, fatigué et imparfait », « touche au cœur des problèmes quotidiens », « ne méconnaît pas les petites chutes de notre vie personnelle et affective ». Un pasteur qui, face à cela, rappelle la « patience de Dieu » et « professe une thérapie de réconciliation intérieure ». Le journaliste, au style parfois aussi personnel, aime comment « ce pape porte en lui la poésie du rêveur » : « François s’adresse au cœur des hommes, à sa dimension poétique et mystique, souvent cachée et oubliée d’eux-mêmes dans un monde agité. »

Évoquant comment le pape trouve les mots pour parler, sans sentimentalisme, des larmes ou du sourire de Dieu, l’auteur met en avant sa « religion de tendresse ». Pas une religion nouvelle mais une dimension à la fois intime et essentielle du christianisme, qui était mise en évidence avec moins d’éclat auparavant alors qu’elle en donne une porte d’entrée des plus accueillantes. Celle qu’ouvre grand ce pontificat qui s’adresse en priorité « aux incroyants, aux agnostiques, aux exclus en quête d’un sens ».

Une pédagogie populaire

Jean-Louis de La Vaissière creuse dans la profondeur bergoglienne et en fait remonter des richesses inexplorées, sous-estimées. Son livre est à conseiller à ceux qui, en surface, n’apprécient qu’un pape au style sympathique ou sinon le jugent démagogue. Le vaticaniste se garde, comme dans son précédent ouvrage De Benoît à François, une révolution tranquille (Le Passeur), d’opposer Bergoglio à son prédécesseur.

Sans nier le charisme singulier du pape argentin. « François est le premier pape à avoir introduit dans le discours pontifical le quotidien, avec son vocabulaire, ses expressions les plus populaires », relève-t-il, appréciant sa « pédagogie populaire pour enseigner l’Évangile ». Sa capacité à faire d’un moment de contact, même bref, « une expérience fondamentale ». À sortir la pensée de l’Église « du sentiment de supériorité qui l’anime » : « Il est aimé parce qu’il peut se mettre à la hauteur des gens, mais aussi leur dire la vérité, fût-elle incommode, sur ce qui ne les satisfait pas dans leur for intérieur. »

L’importance de la joie

Dire aussi au monde la vérité sur ses grands maux. L’auteur relève comment Bergoglio sait aussi, tel Jésus chassant les marchands du Temple, se mettre en colère et user du fouet contre les injustices sociales criantes de nos sociétés : « Il affirme qu’être chrétien nécessite un positionnement clair face aux esclavages du monde. »

Une exigence de cohérence qui n’interdit pas la joie, « clé de voûte de la bergogliothérapie ». Laquelle forme le cœur d’un livre, qui, Synode oblige, traite par ailleurs de la vision du pape François sur la famille et, au début, met en garde contre les « attentes démesurées » que ce pontificat peut susciter. En centrant son propos sur les vertus thérapeutiques, Jean-Louis de La Vaissière ajuste ces attentes à ce qui fait l’originalité bienvenue de Jorge Bergoglio.

Sébastien Maillard (à Rome)

PAPE FRANÇOIS : Un dictionnaire de la langue « bergoglienne »

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Ce livre donne à comprendre le sens  des expressions, comme « périphéries » ou « mondanités », qui reviennent de manière récurrente sous la plume du pape François.

Les Mots du pape

de Nicolas Senèze

Bayard, 330 p., 16,90 €

senezePrésentant la récente exhortation du pape François sur la famille, le cardinal Christoph Schönborn définissait ce texte comme « un événement de langage ». Il soulignait « une fraîcheur du langage, (…) une immédiateté du langage, un langage poétique, imagé ». « Il y a quelque chose qui se passe dans la manière dont le pape François utilise le langage », résumait-il. Nicolas Senèze, journaliste à La Croix, en a fait la matière d’un livre.

« Traduction » du langage papal

Les Mots du pape servent de dictionnaire bergoglien pour qui veut comprendre tout ce que charrient des expressions, comme « périphéries » ou « mondanités », devenues inséparables du pontificat. Des mots si courants dans le discours du pape qu’on risque d’en perdre la profondeur du sens, comme on récite une prière parfois machinalement.

« Il est nécessaire de traduire ce pape latino-américain pour aller au-delà des slogans auxquels certains voudraient trop facilement le réduire », explique au début de son ouvrage Nicolas Senèze, selon qui la pensée du pape François « est certainement moins académique que celle de son prédécesseur Benoît XVI (mais) apparaît tout aussi solidement structurée ». L’auteur, qui connaît bien l’Amérique du Sud, montre par exemple comment les quatre principes généraux qui soutiennent toujours la pensée bergoglienne – « le temps est supérieur à l’espace », « l’unité prévaut sur le conflit », « la réalité est plus importante que l’idée » et « le tout est supérieur à la partie » – ont été forgés pour l’essentiel au début des années 1970.

Théologie du peuple

Au fil des mots, Nicolas Senèze revisite ainsi l’histoire personnelle de Jorge Bergoglio. Celle d’abord d’un jésuite (chapitre ouvrant l’ouvrage) marqué en Argentine par la théologie du peuple. Ces mots clés ouvrent l’accès à d’autres notions essentielles pour saisir non seulement le langage du pape François mais, au-delà, ses gestes et ses actes. L’auteur montre comment, en religieux, le pape est attaché à la « communauté », premier mot du livre, et à la vie en collectivité qui l’accompagne. « C’est d’ailleurs pour cela, une fois élu, qu’il a choisi de rester à la Maison Sainte-Marthe, “l’hôtel” des cardinaux pendant le conclave, plutôt que de s’installer au palais du Vatican », justifie le journaliste, donnant ici la raison la plus solide derrière le choix singulier du nouveau pape.

Le livre à l’expressive couverture warholienne ne prétend pas pour autant décortiquer le pontificat de A à Z – le mot « frères », si courant sous la plume du pape, en est par exemple curieusement absent. Mais, des « migrants » à la « miséricorde », en passant par « l’économie (qui tue) » ou la « famille », il n’oublie aucun thème essentiel, qu’il éclaire avec le rappel de l’histoire, le témoignage de proches et, surtout, de savoureux extraits de la langue bergoglienne.

Sébastien Maillard (à Rome)

FAMILLE : Une édition commentée d’« Amoris laetitia »

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Une édition annotée de l’exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia vient de paraître, grâce au travail conjoint de la Conférence des évêques de France et des facultés jésuites.

La joie de l’amour. Exhortation apostolique post-synodale du pape François,

Édition présentée et annotée sous la direction du Service national Famille et Société de la CEF et de la Faculté de théologie du Centre Sèvres,

Lessius-Fidélité, 374 p., 13 €

amorislaetitiaannoteeFruit d’une collaboration entre la Conférence des évêques de France (CEF) et les facultés jésuites de Paris, une édition présentée et annotée d’Amoris laetitia est parue début septembre aux Éditions Lessius. Elle est préfacée par Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre et président du Conseil famille et société de la CEF, et postfacée par le P. Christoph Theobald, sj.

L’exhortation Amoris laetitia « nécessite un travail d’appropriation de la part du Peuple de Dieu, fidèles, pasteurs et acteurs de la pastorale familiale », fait valoir Mgr Brunin dans sa préface, soulignant « la visée essentiellement pédagogique » de cette édition : « aider les fidèles à rentrer dans le document, en groupe ou seuls, et encourager les initiatives pour sa mise en œuvre. »

Vingt spécialistes appelés à commenter

Le texte intégral est complété d’un guide de lecture par chapitre, toujours rédigé à quatre mains, ainsi que de nombreuses notes et d’un glossaire, expliquant les expressions employées au fil de l’exhortation. Ces outils ont été rédigés par vingt spécialistes des questions familiales (laïcs hommes et femmes, prêtres diocésains, diacre, religieux et religieuses), parmi lesquels huit jésuites.

Les théologiens sollicités enseignent à l’Institut catholique de Paris, à l’Université catholique de Lyon, à la Faculté Notre-Dame (Collège des Bernardins), à l’Université catholique de l’Ouest et dans les facultés jésuites. Le Service famille et société de la CEF a également recueilli des témoignages qui « donnent un visage concret à l’amour dans la famille, avec ses joies et ses difficultés ».

Nouvelle manière de regarder l’Église

Enfin, à la fin de chaque chapitre, des questions ont pour but de soutenir un travail individuel ou en groupe : « En quoi l’attente d’un enfant (qu’on soit père, mère, oncle, grand-mère…) a-t-elle renouvelé votre regard sur la vie ? » « On entend souvent dire que l’Église ne parle pas bien de la sexualité. Comment recevez-vous les paroles du pape sur l’érotisme et sur les relations conjugales ? »

« En définitive, une image nouvelle de l’Église se dégage de ce texte, largement liée à une autre manière de la regarder : une image “bigarrée”, plus nettement marquée par les multiples épisodes de rencontre, parfois étranges, des récits évangéliques », remarque Christoph Theobald.

Anne-Bénédicte Hoffner

CATHOLICISME : Le pape François face à ses ennemis

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Trois ouvrages viennent éclairer les fortes oppositions auxquelles le pape argentin est confronté dans son action.

rivaCe pape qui dérange,
de Virginie Riva,
Éditions de l’Atelier, 174 p., 16 €

bedatFrançois seul contre tous,
d’Arnaud Bédat,
Flammarion, 320 p., 20 €

vaissiereFrançois dans la tempête,
de Jean-Louis de La Vaissière,
Salvator, 220 p., 19,50 €

 

La première semaine du mois de février, des affiches hostiles au pape François ont fleuri dans Rome. Une première dans le pontificat. « Un signe que ce pape dérange », note la journaliste Virginie Riva, en référence au titre du livre qu’elle vient de publier. Avec pédagogie, la correspondante d’Europe 1 à Rome y détaille les multiples chantiers auxquels François s’est attaqué depuis son élection en 2013 : famille et morale, finances vaticanes, économie mondialisée, lutte contre la pédophilie, gouvernement de l’Église.

« Envies de vengeance »

Autant de dossiers que le pape argentin a pris à bras-le-corps, cassant bien des habitudes au Vatican et créant, aussi, autant d’incompréhensions et de rancœurs. Car le pape souriant et affectueux en public peut aussi se montrer « autoritaire, cassant, parfois blessant » et dévoiler des « méthodes expéditives » face à ceux qui lui résistent ; au Vatican, « les placardisés ressassent leurs envies de vengeance », relève Arnaud Bédat. Avec un art consommé du récit, ce journaliste suisse décrit les multiples puissances auxquelles, en presque quatre ans, François s’est attaqué dans l’Église, mais aussi en dehors. Que ce soit les puissances d’argent ou les mafias, certains pourraient même aller jusqu’à menacer physiquement le pape, souligne même Arnaud Bédat qui, en bon Suisse, à ses entrées dans les services de sécurité papaux.

« Le pape n’est pas une figure bonasse qui se contenterait de paroles inoffensives, rappelle de son côté l’ancien vaticaniste de l’AFP Jean-Louis de La Vaissière, dans François dans la tempête. Chaque jour, il rend furieux ceux dont il contrecarre les ambitions mauvaises, car ses appels font se lever le jeune curé dans le bidonville, le député au Parlement, tel cadre supérieur dans sa multinationale. Certains dorment moins tranquilles et préparent leurs défenses contre le trouble-fête : des vendeurs d’armes aux exploitants de minéraux rares ; des sociétés qui rejettent leurs déchets chez les pauvres aux ultralibéraux qui dérégulent à tour de bras ; des sociétés immobilières qui exproprient les pauvres à ceux qui font travailler les femmes et les enfants. »

« 20 % de la Curie pro-Bergoglio »

Certes, François en a vu d’autres. Excellent connaisseur des années portènes de Jorge Mario Bergoglio, Arnaud Bédat montre bien comment ses batailles argentines ont été le terreau des combats actuels du pape. Mais il souligne aussi combien les ennemis d’aujourd’hui commencent à s’organiser. « Les opposants, dans son troupeau de fidèles, sont plutôt minoritaires, mais ils sont très actifs et ne baissent pas la garde », écrit-il, rappelant l’estimation du vaticaniste italien Marco Politi : « 20 % de la Curie est pro-Bergoglio, 10 % totalement contre lui. Les 70 % restants, légitimistes, n’en pensent pas beaucoup de bien et attendent le prochain pape. »

À la lecture de ces trois ouvrages, il apparaît que l’enjeu de la seconde partie du pontificat sera l’image. À cet égard, les récentes affiches contre lui ne sont pas anodines. « Le décalage est souvent important entre l’image du pape François véhiculée par les médias et la réalité des attaques lancées contre lui en Italie, insiste Virginie Riva. Difficile d’imaginer ce qui se murmure à la sortie de la messe, dans les ambassades, les palais et résidences du Vatican. » Or, de la Ville éternelle, cette guerre de communication se déplace désormais au monde entier où certains catholiques s’inquiètent de l’action de François.

En coulisses, des combats d’arrière-garde

Après cinq années à Rome, Jean-Louis de La Vaissière est maintenant responsable de l’AFP à Rennes. Ce changement de perspective lui a fait voir la « colère » et l’« inquiétude rentrée » du « petit troupeau des croyants occidentaux ». « Les curés doivent passer une partie de leur temps à expliquer et à tenter de répondre à leurs angoisses, à leurs peurs d’être abandonnés dans leur lutte contre le “laxisme” et la “décadence”, et d’être moins soutenus que par Jean-Paul II et Benoît XVI, constate-t-il. Il arrive, dans les cercles catholiques, que le nom du pape François soit omis, avec une sorte de mépris. Il est parfois critiqué ouvertement comme celui qui sème la confusion. Certains se taisent, d’autres font mine d’obéir. »

Voyant combien « le contexte est tendu, notamment en France » où, sur les réseaux sociaux, « le pape est pris à partie par les uns et les autres », l’ancien vaticaniste ne peut que constater « un immense quiproquo et beaucoup d’envie et de frustrations ». « François, en véritable prophète, met toutes ses forces à communiquer avec un talent inouï un message de dignité et d’inclusion, explique-t-il. Au même moment, des combats d’arrière-garde se livrent en coulisse autour des textes, des mots et contre son action. »

« L’esprit pape François peut-il perdurer au-delà de son pontificat ? (…) Comment porter le changement après lui ? », s’interroge in fine Virginie Riva. Alors que François vient de fêter ses 80 ans et qu’il n’a pas, pour l’instant, obtenu la « légitimation » du changement qu’il a impulsé par ses gestes et symboles forts, le temps est bien, aujourd’hui, le facteur décisif.

Nicolas Senèze

FAMILLE : Guide de lecture d’un synode

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Dans un livre co-écrit avec le jésuite argentin Juan Carlos Scannone, Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut catholique de Paris, examine avec précision l’exhortation Amoris Laetitia, publié par le pape François après le Synode sur la famille.

bordeyneDivorcés remariés, Ce qui change avec François,
de Philippe Bordeyne, avec Juan Carlos Scannone,
Salvator, 144 p., 17 €

Le sujet n’en finit pas de faire couler de l’encre. Quels effets le Synode sur la famille, organisé en 2014 et 2015 à Rome par le pape François, et prolongé par l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, a-t-il eu dans l’Église ? C’est à cette question que tentent de répondre Mgr Philippe Bordeyne, recteur de l’institut catholique de Paris et moraliste, ainsi que le Père Juan Carlos Scanonne, un jésuite argentin proche du pape François dans un livre publié par les éditions Salvator.

Exigence et mansuétude

À travers l’épineuse et médiatique question de l’accès des divorcés remariés aux sacrements, tous deux se penchent surtout sur la capacité de l’Église à faire face au changement. De fait, les deux théologiens vont bien au-delà de cette problématique, puisqu’ils livrent ici un véritable guide de lecture de l’exhortation apostolique de François, en examinant notamment la pédagogie du pape, « faite d’exigence et de mansuétude », explique Mgr Bordeyne. Ce dernier insiste aussi sur l’importance, pour le pape, de faire preuve de « lucidité » et de « réalisme » sans perdre de vue l’idéal promu par l’Église catholique. Il souligne aussi que la miséricorde constitue une solide grille de lecture d’Amoris Laetitia.

C’est d’ailleurs par le biais du thème de la miséricorde, central chez François, que les auteurs abordent plus spécifiquement la situation des divorcés-remariés. Et c’est précisément parce que « personne ne peut être condamné pour toujours », comme l’écrit le pape dans son exhortation, qu’il est nécessaire d’évoluer en la matière.

Pour un « art de l’accompagnement »

Dans ces pages, Philippe Bordeyne démontre bien la complexité des couples remariés civilement et le refus du pape de fournir une solution « automatique » à cette question, par exemple en autorisant tous les divorcés remariés, sans distinction, à accéder à la table eucharistique. Comme dans les autres champs de la morale, le pape jésuite plaide en effet pour un discernement en fonction des situations, prenant à la fois en compte la « gravité objective » des personnes divorcées et remariées, ayant rompu l’alliance de leur mariage religieux, et la « culpabilité subjective ». Autrement dit, le pape « laisse place à la prise en compte du particulier dans l’évaluation de la culpabilité des personnes », analyse Philippe Bordeyne. D’où la nécessité, pour l’Église, de mettre en œuvre cet « art de l’accompagnement », défini par le pape dans l’exhortation La joie de l’Évangile, publiée en 2013, comme la capacité à « toujours ôter leurs sandales devant la terre sacrée de l’autre ». Par la plume de Juan Carlos Scanonne, le livre rappelle aussi opportunément combien le discernement tel que le prône François est ancré dans la tradition ignatienne, et combien la conscience subjective possède, aux yeux du pape, une valeur objective.

Loup Besmond de Senneville

THÉOLOGIE : Les références théologiques du pape François

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Ce livre permet de mieux comprendre ce que le pape argentin veut signifier quand il parle d’« une Église pauvre pour les pauvres ».

scannoneLa théologie du peuple. Racines théologiques du pape François,
de Juan Carlos Scannone,

Namur / Paris : Lessius / Editions jésuites, Coll. « Donner raison – théologie » n°59, 2017, 272 p., 25 €

Depuis que les papes ne sont plus italiens, soit déjà presque 40 ans, il faut bien connaître le contexte de leur pays d’origine pour tenter d’appréhender au mieux là où leur pensée théologique a pris racine. Cela était encore facile avec les deux papes précédents qui étaient européens.

École théologique  argentine

Avec François, il faut oser s’aventurer sur un autre continent, finalement peu connu, et peu nombreux sont les livres parus en avalanche depuis son élection qui ont fait l’effort d’aller analyser en profondeur le soubassement que la théologie argentine a pu donner à la pensée du pape actuel. Cet ouvrage tombe donc à point ; qui plus est, il est écrit par un jésuite argentin, né en 1931, qui à la fois fut un des professeurs du jeune Bergoglio et, très connu dans le monde hispanique et anglophone, apparaît comme un des meilleurs représentants de ce que l’on peut appeler « l’école théologique argentine». Il est donc parfaitement qualifié pour nous parler de cette dernière et il le fait dans les deux premières parties de cet ouvrage avec un brio certain. Pour autant, son texte n’est pas si facile que cela, et pas seulement parce que, en plus d’un passage, il suppose de son lecteur une connaissance certaine de l’histoire de l’Amérique latine, particulièrement de l’Argentine.

Sagesse populaire

Pour ceux qui pourraient s’inquiéter, Scannone prend souvent soin de distinguer cette théologie propre à son pays, ou « théologie du peuple », de la théologie de la libération, dont elle constitue néanmoins une branche, mais elle s’oppose à cette dernière en mettant résolument à distance toute interprétation matérialiste voire marxiste de l’histoire. Cette théologie du peuple, donc, s’enracine dans la culture d’un peuple, pauvre certes, mais croyant ; la sagesse populaire trouve sa place « en elle et dans son incarnation sous forme de culture ».

Scannone présente la figure principale de cette théologie, encore très peu connue en Europe, le prêtre Lucio Gera (1924-2012), qualifié ici de « théologien du peuple et à partir du peuple », qui fut très actif aux conférences générales de l’épiscopat sud-américain à Medellin (1968) et à Puebla (1979). Gera décrit le peuple à partir d’une culture enracinée comprenant aussi un projet politique partagé en vue du bien commun. De plus, au-delà d’une approche qui serait simplement sociologique, pareille théologie veut creuser la réflexion, centrale à Vatican II, sur une Église envisagée comme peuple de Dieu et en dialogue avec tous les peuples de la terre.

Le peuple, sujet collectif

« L’apprentissage de ce contact avec le peuple, nous dit Scannone, en lien avec la réflexion théologique, surtout ecclésiologique, et avec les orientations doctrinales de l’Église, contribua au fait que la pastorale argentine, sans perdre son esprit évangéliquement critique et prophétique, se fit réellement pastorale et populaire en se libérant des risques du rationalisme élitiste (tant libéral que marxiste) et du danger –réel- de se laisser emporter par une dialectique de lutte de classes transférée au sein de l’Église ». Et, un peu plus loin : « En Argentine, l’expérience vécue de l’être-peuple et la catégorisation qui l’a accompagnée aidèrent l’ecclésiologie argentine post-conciliaire à ne pas opposer ‘communion et institution’, mais à les comprendre dans leur unité ou dans la ‘synthèse vitale’ que, selon Puebla, la sagesse chrétienne populaire sait opérer entre les deux ». Mais, pour lui, cette théologie n’a pas à être limitée au seul cadre argentin : « Il serait possible d’élaborer une philosophie (ou une théologie) de l’histoire argentine en prenant comme matrice herméneutique la catégorie du ‘peuple’ comme sujet collectif. Il me semble d’ailleurs qu’il serait aussi possible de faire la même chose avec l’histoire de beaucoup d’autres peuples. »

Option pour les pauvres

La troisième et dernière partie de l’ouvrage correspond au sous-titre de ce dernier et, selon Scannone lui-même, elle « complète et couronne les deux premières (parties), elle ferme le cycle vivant et fécond qui met en relation réciproque la théologie du peuple et la culture (…) avec la théologie et la pastorale du pape François ». C’est là que nous comprenons alors beaucoup mieux ce que ce dernier veut dire quand il parle si souvent d’« une Église pauvre pour les pauvres » ; notre auteur explique cela très bien : oui, « des pauvres, il y en a toujours eu, et l’option évangélique pour les pauvres a toujours existé dans la communauté chrétienne, mais la nouveauté, comparable à une ‘irruption’, consiste dans la forte prise de conscience de l’injustice structurelle qui est la cause de la pauvreté ainsi que dans le ‘fait majeur’ que les pauvres deviennent actuellement des protagonistes dans la société et dans l’église ». Nouveauté aussi car cette option fait désormais partie de l’essence même de l’évangélisation.

Piété populaire et inculturation

C’est aussi à partir de cette ‘théologie du peuple’ qu’il faut comprendre l’insistance du pape à la fois sur la piété populaire et sur l’inculturation. Cette dernière, dit notre auteur, « est l’un des concepts-guides qui inspirent non seulement Evangelii Gaudium (très souvent citée dans cette partie) mais toute la pensée théologico-pastorale du pape : il conçoit ‘l’évangélisation comme inculturation’, sans pourtant que la première s’épuise dans la seconde ». Dans la même exhortation, François considère « les expressions de la piété populaire » comme un véritable « lieu théologique » : « cette affirmation, commente Scannone, est la culmination et le couronnement de tout ce qui a été dit antérieurement sur ce sujet par l’épiscopat latino-américain et par le magistère des derniers papes ». Enfin, c’est encore et toujours à partir du terreau de cette théologie argentine que l’on peut mieux comprendre les quatre fameuses priorités bergogliennes dans le gouvernement du peuple en vue du bien commun : supériorité du tout sur les parties – de la réalité sur l’idée – de l’unité sur le conflit – du temps sur l’espace.

Bref, voici un livre capital pour mieux entrer dans la pensée, peut-être faussement simple, du pape argentin qui est, comme le dit notre auteur dans sa toute dernière phrase, non « seulement ‘le pape du peuple’ (du peuple fidèle de Dieu et des peuples de l’histoire), mais aussi ‘le pape du discernement’ des signes du temps » !

David ROURE

BIOGRAPHIE : Déjà François pointait sous Bergoglio

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Cet ouvrage passionnant analyse comment les années argentines de Jorge Mario Bergoglio préparaient le pontificat de François.

austen-ivereighFrançois le réformateur,
d’Austen Ivereigh,
Éditions de l’Emmanuel, 536 p., 20 €

Les Éditions de l’Emmanuel viennent de combler une importante lacune avec cette traduction en français de The Great Reformer : Francis and the Making of a Radical Pope, parue en 2014 en anglais. Même trois ans après sa publication, l’ouvrage, révisé l’année suivante, reste en effet l’une des meilleures biographies du pape François, notamment sur ses années argentines.

Excellent vulgarisateur

Son auteur, le journaliste britannique Austen Ivereigh, est un fin connaisseur de l’institution ecclésiale (il a travaillé à la communication du cardinal Cormac Murphy O’Connor, ancien archevêque de Westminster qui a beaucoup contribué à l’élection de François) doublé d’un spécialiste de l’Argentine (il a défendu, en 1993 à Oxford, une thèse en sciences politiques sur l’Église et la politique en Argentine). Nul, mieux que lui, ne pouvait donc décrypter les années argentines qui ont préparé le père, puis l’évêque et cardinal Bergoglio à devenir le pape François.

Excellent vulgarisateur, Austen Ivereigh sait qu’il s’adresse à un public anglo-saxon peu au fait des subtilités, politiques comme ecclésiales, de l’Amérique latine : il prend donc le temps de bien expliquer les choses et de les replacer dans leur contexte. Les digressions semblent parfois longues mais sont, en fin de compte, toujours éclairantes. Ainsi, les tumultueux débuts politiques de l’Argentine entre libéraux et nationalistes aident-ils à comprendre la vision politique du futur pape, son attirance pour le péronisme et son tropisme pour le « peuple ». Un parmi d’autres des thèmes les plus prégnants du pontificat qui émergent de sa formation philosophique et théologique.

Au-delà du tropisme latino-américain 

Les pages passionnantes sur son provincialat jésuite permettent de mieux comprendre celui qui est alors coincé entre une tendance très marxisante de la Compagnie et une autre très conservatrice. Pour des raisons diamétralement opposées, les uns et les autres rejetteront la volonté de leur provincial de voir les jésuites plus proches des réalités de la société argentine. L’ouvrage oblige toutefois à se garder de trop ramener François à un tropisme latino-américain : il souligne, au contraire, combien les débats auxquels participe cet Argentin devenu universel interpellent déjà toute l’Église.

Ce qui transparaît, ce sont d’ailleurs les efforts de Jorge Mario Bergoglio de toujours rassembler au-delà d’un camp. Dès le départ, il veut dépasser – non sans maladresse à cause de sa jeunesse – un clivage progressiste-conservateur qui ne cessera pourtant de le poursuivre, quand il sera évêque puis cardinal. Y compris quand, en 2005, il refusera de se laisser instrumentaliser par ceux des cardinaux qui veulent en faire leur « champion » face au futur Benoît XVI.

« Là où Dieu nous sauve »

« Les restaurationnistes et les idéalistes, les conservateurs et les révolutionnaires, passeront toujours leur temps à se battre pour obtenir le pouvoir, avoir le contrôle et diriger l’institution », écrit-il dès 1980, mettant en garde contre le risque de « devenir des ateliers de restauration ou des laboratoires aseptisés » oublieux du « mouvement véritable qui est en train de se déployer au sein du peuple fidèle de Dieu ». « Ainsi, ils se révèlent incapables de se joindre à la marche de l’histoire, là où Dieu nous sauve, là où Dieu fait de nous un corps, une institution », concluait celui qui défend une « vraie réforme de l’Église », selon l’expression du dominicain Yves Congar qui semble l’avoir beaucoup marqué.

Presque quarante ans plus tard, le discours n’a pas vraiment changé, quand le pape apparaît comme un dangereux progressiste pour les uns et un conservateur déguisé pour les autres. On comprend aussi qu’il « en a vu d’autres », qu’il ne se laissera impressionner ni par les critiques ni par l’adversité. Ni surtout par le « progressisme adolescent » qu’il a vu poindre en Amérique latine et dont il a pris conscience que l’Église ne pourrait y répondre que par une profonde réforme.

Nicolas Senèze
> Lire aussi : Les références théologiques du pape François

ESSAI : François, le pape qui sait communiquer

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Le préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège  montre que la communication du pape François fait partie intégrante de la dynamique de renouvellement de l’Église catholique qu’il cherche à mettre en œuvre.

dario-viganoFrères et sœurs bonsoir ! La communication du pape François : une révolution,
de Dario Edoardo Viganò,
traduit de l’italien
par Daniela Caldiroli,
Bayard, 200 p., 16,90 €

Depuis le premier jour de son pontificat, le pape François a bouleversé les codes habituels de la communication papale : discours improvisés, réponses spontanées à des questions de journalistes, homélies à Sainte-Marthe… Préfet du Secrétariat pour la communication du Saint-Siège, le père Viganò mobilise les sciences et la théologie de la communication – discipline qu’il enseigne à l’Université du Latran – pour analyser le style et le langage d’un « homme sans cérémonial » qui cherche à travers ses gestes, ses paroles, ses initiatives, ses voyages, ses écrits à entrer en relation avec ses interlocuteurs, à communiquer le bien, à faire resplendir la vérité du message chrétien.

Une ouverture vers le prochain

Le pape François connaît bien les ressorts de la culture médiatique moderne. Il sait en user. « Sa communication, écrit Mgr Viganò, cherche à enraciner l’annonce évangélique dans les codes, les contextes et les narrations d’aujourd’hui. Mais elle prend aussi une autre direction : rendre transparent pour le monde, pour la société , pour ‘l’homme de la rue’, les codes, les contextes et les narrations de l’Église. C’est l’autre visage  de cette volonté d’ouverture et de mouvement vers le prochain… » Une volonté qui permet de comprendre pourquoi le pape met sérieusement en garde contre toute forme de commérage ou de cancan desquels nous sommes toujours un peu complices.

« Le profil anthropologique du cancanier, c’est le désir de puissance au sein d’une communauté, du législateur et du juge. Le cancanier se pose en gardien des valeurs et de l’intégrité  de sa propre communauté, et le succès d’une telle entreprise est la source suprême de son plaisir. Le commérage n’épargne personne ; il est inhérent à l’exercice du pouvoir », analyse encore l’auteur.  On comprend dès lors en quoi le style de communication du pape François  est un élément intégrant de la réforme de l’Église.  Un livre éclairant nourri de nombreux extraits des interventions du pape François pour illustrer le propos.

Dominique Greiner

BIOGRAPHIE : Le pape François, un « homme pour les autres »

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Parmi tous les ouvrages consacrés au pape François, celui-ci sort du lot en faisant mieux comprendre son background intellectuel, culturel, spirituel et ecclésial.

austen-ivereighFrançois le Réformateur. De Buenos Aires à Rome,
de Austen IVEREIGH,
Éditions Emmanuel, 2017, 540 p., 20 €

Parmi la somme impressionnante d’ouvrages parus sur le pape actuel depuis son élection en 2013, celui-ci nous semble se dégager nettement du lot. En effet, il est écrit par un journaliste anglais cinquantenaire qui connaît très bien l’Amérique latine puisqu’il a, dès 1993, soutenu une thèse en histoire sur l’Église catholique et la politique en Argentine, en particulier dans les années 1930-1960 ! Qui plus est, c’est là une œuvre de première main car notre journaliste ne s’est pas contenté de reprendre paresseusement depuis l’Europe (ce qu’ont fait un certain nombre de ses confrères…) des interviews parues outre-Atlantique mais il est allé lui-même en Argentine interroger un grand nombre de personnes qui ont bien connu Jorge Bergoglio, surtout parmi ses confrères jésuites ou des prêtres de l’archidiocèse de Buenos Aires.

Un « évêque ‘qui sent la brebis’ »

Cela donne donc un livre dense, très bien documenté, mais qui se lit toujours facilement, et même avec plaisir ; prenant les choses bien en amont, il détaille l’histoire de l’Argentine et de son peuplement, de l’Église locale, des jésuites depuis leur implantation dans ce pays. Il explique bien la théologie développée, dite du peuple, qui à la fois ressemble à la théologie de la libération et s’en sépare, entre autres par son refus clair de l’idéologie marxiste ou marxisante. Les enjeux d’une politique récente compliquée, avec le péronisme, la dictature des généraux et le populisme anticlérical des Kirchner, mari et femme, sont clairement exposés.

Plus dans le détail, Ivereigh sait aussi bien montrer tous les aspects, assez complexes, de la Compagnie de Jésus en Argentine à partir du moment où le jeune Jorge y entre, en 1958 à l’âge de 21 ans, et où il deviendra vite maître des novices (en 1972, avant même sa profession solennelle !) puis, l’année suivante, provincial, alors âgé d’à peine 36 ans ! Ayant largement contribué à faire évoluer les jésuites argentins durant cette période-là, il fut apprécié par certains mais contesté, parfois fortement, par d’autres, ce qui lui valut une sorte de mise à l’écart dans les années 1980. Mais il avait été repéré à Rome et il fut nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992, coadjuteur en 1997 du cardinal Quarracino à qui il succéda l’année suivante. Et notre journaliste de nous détailler alors dans la seconde moitié de son épais ouvrage de manière très intéressante les nombreuses initiatives pastorales, souvent inédites jusqu’alors, de cet « évêque ‘qui sent la brebis’ », de cet « homme pour les autres », de ce « cardinal gaucho » pour employer trois expressions qui sont autant de titres de chapitres !

Péronisme et dictature militaire

Dans la première partie, Austen Ivereigh n’hésite pas à aborder deux sujets qui ont fait polémique depuis l’élection de François, à savoir ses liens avec le peronisme puis avec la dictature militaire qui a suivi. Il mène chaque fois une analyse rigoureuse et nuancée. Sur le premier point, il est très clair : « Jorge Bergoglio n’a jamais milité dans un parti politique, et, après 1958, année où il rejoint les Jésuites, n’a jamais voté. Mais il a toujours eu une affinité naturelle avec la tradition culturelle et politique que le péronisme représentait », ceci étant après que notre enquêteur ait précisé que « le péronisme était au service de Peron, pas d’une idéologie ». Le second point est plus délicat car, on s’en souvient, à peine élu François a été victime d’une accusation, largement relayée ensuite par des journalistes peu scrupuleux, où un ancien confrère, qui avait été enlevé et torturé par les militaires, dénonçait Bergoglio de collusion avec ces derniers. Au terme d’une investigation particulièrement fouillée, Ivereigh met en pièce cette calomnie, tout en expliquant : « L’idéologie nationaliste sécuritaire de la dictature lui répugnait tout autant que l’idéologie nationaliste marxiste prônée par les Montoneros (nota : dont était proche ce compagnon jésuite) en dépit des habits catholiques dont les deux mouvements se drapaient alors. Malgré cela, Jorge Bergoglio aurait été capable d’entrer en relation avec n’importe qui, en particulier si cela pouvait sauver des vies » !

Ce trait de caractère, joint à de nombreux autres que dépeint aussi notre auteur, permet, de même que ses initiatives pastorales comme archevêque, de mieux comprendre la manière dont ce pape non européen, qui peut parfois nous déconcerter, appréhende et gouverne aujourd’hui l’Église universelle. Déjà, le document d’Aparecida de 2007 concluant la 5ème assemblée du Celam, auquel Bergoglio avait largement contribué, prônait « une Église pauvre pour les pauvres, ancrée dans Vatican II, tournée vers la mission, axée sur les périphéries, centrée sur le saint peuple fidèle de Dieu, dans un dialogue de confiance avec la culture, et néanmoins audacieuse dans la dénonciation de ce qui lèse les pauvres » ! Ivereigh a pour son sujet une empathie manifeste ; pour autant, il ne le décrit pas, ainsi qu’il le dit lui-même, « comme un ange »…

Redoutable sens politique

Le livre s’arrête, ou presque, au conclave de 2013 ; néanmoins, chacun des neuf chapitres (sauf le dernier, consacré justement au conclave !) commence par une évocation d’un événement vécu par le pape depuis son élection, lequel événement va être éclairé, expliqué, pense l’auteur à juste titre, par ce qui va suivre dans le chapitre concernant telle ou telle section de la vie du futur évêque de Rome ! Pour autant, Ivereigh émet déjà quelques jugements d’importance sur les premières années du pontificat : pour lui, par exemple, l’encyclique Laudato si’ « est peut-être ce que François laissera de plus important » et, continue-t-il sur sa lancée, « Laudato si’ fait figure de monument dans l’enseignement social catholique. Il s’agit probablement du texte le plus important depuis Rerum novarum de Léon XIII en 1891. »

En bon connaisseur, notre historien sait aussi nous présenter des aspects moins connus et rabattus de la vie et de la personnalité du pape actuel : tout d’abord, malgré certaines apparences, son redoutable sens politique ; il peut ainsi conclure un chapitre : « Voilà un paradoxe typique de Bergoglio : l’austère et incorruptible mystique parti en guerre contre la mondanité spirituelle, l’évêque pasteur qui ‘sent la brebis’ est aussi l’homme politique le plus fin que l’Argentine ait connu depuis Peron », rien de moins ! Ensuite, sa volonté de ne jamais mépriser et même de promouvoir toujours une authentique piété populaire, Iveneigh allant jusqu’à affirmer, utilisant un mot à manier pourtant avec précaution : « François est en train de construire un nouveau populisme catholique qui prend ardemment la défense des exclus » ! Enfin, sa proximité venue sur le temps mais de plus en plus affichée en Argentine avec des chrétiens charismatiques, y compris évangéliques : « Lorsque La Nacion publie une photo du cardinal Bergoglio agenouillé, les yeux fermés, la tête inclinée, au milieu de plusieurs pasteurs qui lui imposent les mains, l’onde de choc est telle que certains catholiques traditionalistes le déclarent apostat. L’archevêque a posé ce geste audacieux à l’occasion d’une prière charismatique réunissant des milliers de personnes dans un stade de Buenos Aires, en juin 2006. La soixantaine bien avancée, son ouverture croissante à la spiritualité charismatique – la louange emplie du Saint-Esprit, la prière en langues et l’attente de miracles et de prodiges, comme dans l’Église primitive – marque une évolution significative de sa vie intérieure ». Pour autant, toujours fils de Saint Ignace, « le discernement spirituel est l’une des grandes dimensions du pape François », comme le confie en début du livre un jésuite qui l’a bien connu !

Comme l’exprime Eduardo Pironio, un autre cardinal argentin dont il fut proche, Bergoglio « s’aliène à la fois les conservateurs en raison de son engagement en faveur de la justice sociale, et la gauche, à cause de son refus de soutenir les versions marxistes de la théologie de la libération » ; c’est qu’ « il n’est pas un révolutionnaire. Ce qu’il est, au plus profond : un radical de l’Évangile porteur d’une stratégie pastorale qui accorde la priorité aux pauvres » ! Si vous voulez mieux connaître son background intellectuel, culturel, spirituel et ecclésial, dans l’avalanche d’ouvrages parus sur lui depuis 2013, lisez en priorité celui-ci, vous ne le regretterez pas !

David Roure
Sur le même livre, lire aussi : Déjà François pointait sous Bergoglio
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